Les pressions judiciaires se multiplient contre Gotham City
Les pressions judiciaires se multiplient contre Gotham City

Les pressions judiciaires se multiplient contre Gotham City

A cinq reprises en 2020, notre publication a fait l’objet de mesures visant à interdire la publication d’articles sur des hommes d’affaires. Dans quatre cas, la justice a reconnu l’intérêt public de ces informations et donné raison à Gotham City. Certains des plaignants déboutés refusent pourtant de verser les frais de justice accordés à notre société éditrice par les tribunaux, ce qui revient à exercer une pression économique sur notre titre.

Gotham City a fait l’objet de cinq requêtes de mesures superprovisionnelles en 2020, un record dans l’histoire de notre jeune publication.

Ces procédures consistent à demander l’interdiction d’un article par la justice, souvent avant même sa parution. A quatre reprises, les tribunaux ont reconnu l’intérêt public des informations et finalement autorisé les publications.

Dans deux de ces cas, les hommes d’affaires qui invoquaient le droit pour protéger leur “honneur” ont choisi d’ignorer les décisions qui leur donnaient tort et qui les obligeaient à verser des dépens à notre société éditrice, Fiatlux Sàrl.

La première affaire concernait le trader turco-suisse établi à Genève Yomi Rodrig, dont le nom était apparu en marge d’une procédure de délit d’initié aux Etats-Unis. La seconde touchait l’homme d’affaires Alain Duménil, un temps poursuivi pour avoir dissimulé 54 millions de francs au fisc suisse.

Gotham City a récemment résumé ces deux procédures (Lire aussi: Gotham City obtient gain de cause face à un trader genevois et Alain Duménil perd son procès contre Gotham City).

Ces victoires sur le fond montrent que la justice suisse prend la liberté de la presse au sérieux et reconnaît l’intérêt public de la chronique judiciaire. 

Mais c’est sur le plan économique que la situation se corse. Les sommes engagées dans ces deux litiges, à chaque fois jugés en première instance et portés en appel par les plaignants, ont représenté un coût important pour notre publication, uniquement financée par ses lecteurs.

Au total, Alain Duménil a été condamné à verser 5000 francs à Gotham City, et Yomi Rodrig 4000 francs. Ces dépens, qui sont censés rembourser les frais de défense de la partie qui obtient gain de cause, ne couvrent en réalité que la moitié des frais engagés par Gotham City.

Dans le cas de Yomi Rodrig, récupérer la somme impose de passer par une procédure dite de recouvrement forcé, qui prendra des mois dans le meilleur des cas.

En ce qui concerne Alain Duménil, il est peu probable que Gotham City voie un jour la couleur de ses dépens. L’homme d’affaires a transféré ses activités en Italie et n’a laissé que des dettes en Suisse, où il est assiégé par ses créanciers. Ses deux propriétés à Genève et Crans-Montana ont été saisies dans des procédures visant à récupérer des dizaines de millions de francs.

Alain Duménil et Yomi Rodrig avaient lancé ces procédures à quelques semaines d’intervalle, en mai et juin 2020, par l’entremise du même avocat, Romain Jordan de l’étude Merkt & Associés.

Interrogé par Gotham City, ce dernier “conteste catégoriquement” toute mauvaise intention de la part de ses clients.

Selon lui, le refus d’honorer les dépens par Alain Duménil et Yomi Rodrig ne devrait en aucun cas être perçu comme une tentative de fragiliser notre publication, ou d’instaurer un “chilling effect” qui nous dissuaderait de rapporter de futures décisions de justice les concernant.

Me prêter de telles intentions dans mon simple rôle d’avocat cherchant à éviter une publicité assurément dommageable à un client dont l’identité menaçait d’être dévoilée est choquant et relève au mieux du mauvais procès d’intention“, martèle Romain Jordan dans un email.

Gotham City a fait face avec succès à deux autres tentatives de censure préalable en 2020. En juin, l’homme d’affaires et politicien de Mongolie Borkhuu Delgersaikhan a tenté d’interdire la publication de deux articles (ici et ici) qui faisaient état d’une procédure du Ministère public de la Confédération (MPC) ouverte contre lui.

Un tribunal de Berne a rejeté sa requête déposée en urgence et l’homme d’affaires mongol a finalement retiré sa plainte quelques semaines plus tard.

En août 2020, l’Angolais Carlos Manuel de São Vicente a tenté de faire interdire la publication d’un article qui révélait le séquestre de 900 millions de francs lui appartenant dans une banque genevoise.

Prévenu de blanchiment, l’homme d’affaires avait mandaté l’avocat genevois Jamil Soussi de l’étude Bottge & Associés, par ailleurs défenseur régulier de la RTS dans des affaires touchant la liberté de la presse.

Sa requête de mesures superprovisionnelles a été refusée par le Tribunal d’arrondissement de l’Est vaudois. Jamil Soussi a retiré sa demande quelques jours plus tard, tout en menaçant de lancer une nouvelle plainte pour exiger la “réparation du préjudice considérable” causé à son client par la publication de l’article.

En décembre 2020, enfin, un ancien gérant de fortune genevois a quant à lui obtenu la censure préalable d’un article qui rapportait l’existence d’une procédure genevoise sur la dissimulation des fonds d’un puissant homme d’affaires et “philanthrope“.

Cette ordonnance, confirmée par le Tribunal de première instance de Genèvefin janvier 2021, interdit la publication d’un article où le nom de l’ancien gérant avait pourtant été anonymisé par notre rédaction. La Cour a retenu que même sous une forme anonyme, la seule description des faits reprochés au gérant aurait pu lui nuire.

Dans les faits, cette décision empêche surtout la divulgation du nom du puissant homme d’affaires et “philanthrope“, information qui est selon nous d’intérêt public. Cette ordonnance est encore sujette à recours.

Gotham City était défendue par Nicolas Capt de l’étude Quinze Cours des Bastions dans les litiges impliquant Alain Duménil, Yomi Rodrig et Carlos Manuel de São Vicente.


Droit de réponse

Le 18 mars 2021, Yomi Rodrik a sollicité la parution du droit de réponse suivant:

La procédure concernant M. Yomi Rodrik mentionnée dans le présent article a fait I’objet d’une ordonnance superprovisionnelle du Tribunal de première instance ordonnant a Fiatlux Sàrl, Francois Pilet et Marie Maurisse, sous la peine menace de I’art. 292 CP:

  • d’anonymiser I’identité de Yomi Rodrik et celle de ses sociétés dans l”article “Délit d’initié: un collectionneur d’art français exposé aux Etats- Unis” du magazine en ligne Gotham City France, y compris de ses archives;
  •  d’intervenir auprès des moteurs de recherche pour faire immédiatement supprimer l’information “RODRIG” et “COUDREE” des moteurs de recherche, y compris cache et index;
  • de ne pas mentionner I’identité de Yomi Rodrik ou de ses sociétes dans le cadre de toute publication relative a I’enquête américaine pour délit d’initié dont il est question dans l’article précité.

L’ordonnance provisionnelle révoquant ultérieurement celle-ci a été confirmée par arrêt de la Cour de justice du 31 aout 2020.

Dans ce cadre, la Cour de justice a reconnu que la mention figurant dans l’article publie par Gotham City – selon laquelle M. Yomi Rodrik et ses sociétés étaient désignés comme des “protagonistes” mentionnés dans le sillage de la condamnation de Télémaque Lavidas” – était “vraisemblablement inexacte”.

L’appel a néanmoins été rejeté au motif que le seuil de gravité de I’atteinte a la personnalité requis par I’art. 266 CPC n’était pas atteint, des lors notamment que l’article incriminé ne devait être accessible qu’aux abonnés et n’était dès lors connu que d’un cercle de personnes restreint.

Les dépens octroyés par les tribunaux n’ont été sollicités par I’avocat de Fiatlux Sàrl, François Pilet et Marie Maurisse que le 4 janvier 2021, soit peu avant la publication du présent article.

Gotham City maintient sa version des faits.